L’ESPRIT COSMIQUE
Une part de la puissance de la vie se trouve dans sa précarité. Dans chaque cellule, le protoplasme se trouve suspendu dans un équilibre instable qui peut être incliné dans l’une ou l’autre direction même par le plus intime stimulus. Chaque partie de chaque organisme ressemble à un paquet d’explosifs, amorcé pour l’action et lié à un mécanisme de déclic – même une amibe isolée est équilibrée de la sorte, prête à flotter dans n’importe quelle direction. Il fut un temps où l’on croyait complètement fortuit le mouvement amiboïde ; aussi des espèces reçurent-elles des noms merveilleusement anarchiques, comme Chaos chaos ; mais nos idées concernant la base physique de la vie ont changé.
Les amibes continuent de faire les délices des apprentis naturalistes ; quiconque peut dessiner au crayon une ligne onduleuse qui, en un certain point de ses méandres, se rejoint elle-même, peut nommer cela une exacte représentation d’une amibe. Et pourtant nous savons maintenant que les pseudopodes amibiens sont lancés vers l’extérieur avec intention, parfois si précise qu’ils peuvent encercler jusqu’à des proies en mouvement rapide, en une étreinte qui les engloutit sans les toucher sur aucun point. La chose est possible parce que l’amibe répond à des modifications légères de son environnement par de rapides modifications réciproques de sa structure. Les amibes sociales réagissent entre elles de la même façon, se réunissant pour se reproduire en réponse à un signal chimique courant entre elles. Lorsqu’elles agissent de concert, elles émettent probablement des messages chimiques et nous devons présumer que les congrégations d’autres protozoaires indépendants, comme ceux qui se réunissent pour former une éponge, communiquent de la même façon. Il est cependant malaisé de comprendre comment jusqu’à un demi-million d’unités peuvent coordonner leurs activités sans même le plus rudimentaire système nerveux.
Chez les plus tardifs et plus complexes organismes multicellulaires, un miracle d’organisation se produit. Certaines des composantes changent de forme, et s’étirent jusqu’à ce que leur longueur atteigne cent mille fois leur largeur – proportions uniques dans la vie – et ces cellules en câbles allongés deviennent des liens sensoriels entre les différentes régions de l’animal. Les nerfs fournissent une base mécanique à la communication électrochimique et favorisent les activités conjuguées qui donnent à la plupart des animaux directive et but ; les éponges, toutefois, n’ont aucun de ces avantages et n’en réussissent pas moins à fonctionner d’une façon contrôlée et manifestement non fortuite qui semble presque extrasensorielle. Même déchiquetées et passées au tamis, leurs cellules se rassemblent de nouveau comme un organisme ressuscitant de chez les morts. Les plantes aussi manquent de système nerveux et ne manifestent aucune transmission d’impulsion de cellule à cellule – et pourtant, elles aussi font preuve d’une action concertée. Un contact au bout d’une des feuilles composées du Mimosa pudica la fait se replier et si le stimulus est assez puissant, la réaction ne tarde pas à s’étendre aux feuilles avoisinantes, jusqu’à ce que la plante entière semble ramper de soumission. L’action de la dionée gobe-mouches se révèle encore plus impressionnante, les cellules effectuant un genre de feu de batterie, se répondant entre elles en une action explosive assez rapide pour attraper la mouche intruse. Bien que la biochimie des contractions soit clairement comprise, la coordination des cellules séparées demeure encore un mystère. Il se peut que la réponse à cette question se trouve en dehors des frontières de la perception sensorielle normale.
Un matin de février 1966, Cleve Backster fit une découverte qui transforma sa vie et pourrait bien avoir sur la nôtre des effets à longue portée. À l’époque, Backster était un spécialiste des interrogatoires qui avait quitté la CIA [13] pour diriger une école new-yorkaise destinée à l’entraînement des policiers dans les techniques d’utilisation du polygraphe, ou « détecteur de mensonge ». Normalement, cet instrument mesure la résistance électrique de la peau humaine, mais ce matin-là Backster en étendit les possibilités. Venant d’arroser une plante de son bureau il se demanda s’il serait possible de mesurer le rythme auquel s’élevait l’eau dans la plante, de la racine à la feuille, en enregistrant l’accroissement du contenu aqueux des feuilles sur une bande du polygraphe. Backster plaça les deux électrodes à réflexe psychogalvanique (RPG) de part et d’autre d’une feuille de Dracaena massageana, un caoutchouc en pot, et équilibra la feuille dans le circuit avant d’arroser de nouveau la plante. Il n’y eut pas de réaction marquée à ce stimulus ; aussi Backster décida-t-il d’essayer ce qu’il nomme « le principe de menace-au-bien-être, une méthode bien connue pour déclencher les réactions affectives chez les humains ». En d’autres termes, il résolut de torturer la plante. D’abord, il plongea l’une des feuilles dans une tasse de café chaud, mais il n’y eut aucune réaction, aussi décida-t-il de prendre une allumette et de brûler consciencieusement la feuille. « À l’instant de cette décision, à treize minutes, cinquante-cinq secondes du temps d’enregistrement, il se produisit une modification spectaculaire dans la courbe de tracé du RPG sous forme d’un tournant vers le haut, abrupt et prolongé, de la plume enregistreuse. Je n’avais ni bougé ni touché la plante ; aussi le moment précis de l’entrée en action du traceur RPG me donna-t-il à penser que le tracé pouvait avoir été déclenché par la seule pensée du mal que j’avais l’intention d’infliger à la plante. »
Puis Backster explora la possibilité d’une telle perception chez la plante en apportant dans son bureau des crevettes vivantes et en les laissant tomber une à une dans de l’eau bouillante. Chaque fois qu’il tuait une crevette, le traceur du polygraphe attaché à la plante sautait violemment. Pour éliminer la possibilité que ses propres émotions ne produisent cette réaction, Backster automatisa complètement l’expérience entière, en sorte qu’un appareil électronique créateur de hasard choisit des moments fortuits pour plonger les crevettes dans l’eau chaude alors qu’il n’y avait dans le laboratoire aucun être humain. La plante continua d’avoir des réactions de sympathie à la mort de chaque crevette, mais n’enregistra aucune altération quand la machine laissa tomber dans l’eau des crevettes déjà mortes.
Impressionné par l’apparente sensibilité de la plante à la souffrance, Backster rassembla des spécimens d’autres espèces et découvrit qu’un philodendron lui semblait particulièrement attaché. Il ne manie plus cette plante qu’avec le plus grand soin et chaque fois qu’il est nécessaire de la stimuler afin de produire une réaction, c’est son assistant, Bob Henson, qui « joue les durs ».
Aujourd’hui, la plante manifeste au polygraphe une réaction d’agitation chaque fois que Henson entre dans la pièce et paraît « se détendre » quand Backster s’approche ou même parle dans une pièce adjacente. Enclore la plante dans un écran de Faraday ou dans un récipient de plomb n’a aucun effet et il semble que les signaux auxquels elle réagit n’entrent pas dans les limites du spectre électromagnétique normal. Au cours d’expériences plus récentes, Backster a découvert que les fruits et légumes frais, les cultures de moisissures, les amibes, les paramécies, la levure, le sang et même des raclures de palais humain témoignent tous d’une sensibilité similaire à la détresse d’une autre vie.
Ce phénomène, que Backster appelle « perception primaire », a été établi par la reproduction de ses travaux en d’autres laboratoires. Cela soulève d’inquiétantes questions biologiques et morales ; pour ma part, depuis que j’y réfléchis, j’ai dû renoncer complètement à tondre mes pelouses ; mais s’il fallait pousser la chose à ses limites logiques, nous finirions, pareils à la communauté décrite par Samuel Butler dans Erewhon, par ne manger que des choux certifiés morts de mort naturelle. La réponse au problème moral consiste à traiter avec respect toute vie, et à ne tuer, avec une véritable répugnance, que ce qui nous est nécessaire afin de survivre – cependant, les problèmes biologiques ne sont pas si faciles à résoudre.
Si les cellules en train de mourir lancent un signal auquel répond une autre vie, pourquoi le font-elles ? Et pourquoi de pareils signaux seraient-ils plus importants pour une plante en pot que pour nous ? Les signaux d’alarme sont communs au moins à tous les vertébrés sociaux. Les mouettes ont des appels spécifiques, avertissant leurs colonies reproductrices de l’approche des prédateurs ; les écureuils du sol et les marmottes de prairies ont un système d’avertissement précoce alertant leurs colonies au danger de raids aériens de la part des oiseaux de proie. La fonction des signaux est si claire que ceux des corbeaux et des mouettes ont été enregistrés et diffusés à travers les terrains d’aviation pour faire fuir ces oiseaux loin des pistes aussitôt avant l’atterrissage prévu d’un avion. Très souvent, l’alarme est interspécifique : sternes, étourneaux et pigeons se nourrissant avec des mouettes prennent tous leur envol au son du cri d’alarme de la mouette ; et les phoques plongent dans l’eau quand des colonies voisines de cormorans signalent l’approche d’un péril.
Les cris d’alarme ont de toute évidence une haute valeur de survie et fonctionnent bien par-dessus la ligne de démarcation des espèces ; néanmoins, toutes les espèces n’opèrent pas sur les mêmes fréquences, ni même avec d’identiques organes sensoriels ; aussi existerait-il une forte pression naturelle vers l’évolution d’un signal commun : un genre de SOS pour toutes les espèces. Les pressions de ce genre passent rarement inaperçues, et il n’est pas impossible que la découverte de Backster ne constitue la réponse de la nature à ce besoin précis. Il est à présumer que cela commencerait par le développement d’un signal de compromis parmi des groupes d’espèces étroitement apparentées, en réponse à un commun prédateur. Ensuite, il serait avantageux pour le prédateur d’être en mesure de détecter le signal et de prévenir son effet sur sa proie ; en fin de compte aussi bien les prédateurs que les proies trouveraient le signal utile en ce qu’il avertirait d’une avalanche, d’une inondation ou de quelque catastrophe naturelle capable de les affecter tous.
La recherche d’un signal d’alarme accessible à toute vie se réduirait bien sûr au plus bas commun dénominateur. Tous les organismes sont formés de cellules et l’existence d’un système de communication entre cellules fournirait la réponse définitive. Nous avons encore à trouver de façon concluante qu’un tel système existe, mais les chances en sa faveur augmentent constamment.
Que l’homme soit exclu du bénéfice de ce système pourrait bien n’être qu’apparent. Je commence à soupçonner que, de manière inconsciente, nous sommes tout aussi conscients de l’alarme que n’importe quel pigeon ou plante en pot. C’est un fait bien établi que même en dormant nous réagissons à certains bruits significatifs : une mère ne se réveillera pas au rugissement d’un train qui passe, mais s’éveillera dès que son enfant pleurera doucement dans une autre chambre.
Beaucoup de mères prétendent savoir quand quelque chose ne va pas avant même que le bébé ne fasse résonner son signal d’alarme. Il se peut qu’elles aient raison et s’accordent à l’alarme universelle ; toutefois, on sait que de nombreux sens bénéficient d’une acuité particulière aussitôt après l’accouchement ; elles pourraient donc réagir à des stimuli ordinaires, véritablement très subtils.
L’autruche mâle Struthio camelus a plusieurs femelles et chacune d’elles, en ordre hiérarchique rigoureux commençant par la femelle principale, pond cinq ou six œufs dans le creux gratté en terre par le mâle. Le dernier d’une vaste couvée de vingt œufs peut donc être pondu trois semaines après le premier, mais tous éclosent à quelques heures d’intervalle environ six semaines plus tard. Cette synchronisation merveilleuse est vitale pour que le mâle s’occupe avec efficacité de sa progéniture et il assure ce résultat en écoutant ce qui se passe à l’intérieur des œufs à mesure qu’ils se développent. Grâce aux sons qu’ils émettent, le mâle peut évaluer leur stade de développement et si l’un se trouve trop avancé, il le roule hors du nid et l’enfouit quelque temps jusqu’à ce que les autres le rattrapent. D’autres œufs ont des parents moins astucieux et se synchronisent eux-mêmes en s’auscultant mutuellement. Plusieurs jours avant d’éclore, les poussins de la plupart des oiseaux vivant au sol, lesquels ont besoin d’éclore et de s’enfuir ensemble presque aussitôt, percent la petite membrane interne de la coquille afin d’accéder à la poche d’air de l’extrémité ronde. Ils respirent cet air, et le bruit de cette respiration peut être entendu par les poussins des autres œufs qui savent à son rythme à quel point leurs frères de couvée sont proches de l’éclosion. Chez la caille japonaise Coturnix coturnix, le rythme s’établit à trois bruits par seconde, et l’on a démontré qu’un cliquetis artificiel à cette fréquence accélère le rythme d’éclosion de tous les œufs d’un nid. Les embryons de la plupart des œufs poussent de petits cris de « plaisir » en réponse à un changement de position quand l’œuf est tenu en main. Ces cris peuvent être perçus au stéthoscope sensible, mais il semble certain que les oiseaux couveurs les entendent distinctement et réagissent en conséquence.
Dans les années 1880, deux savants français découvrirent un jeune garçon qui semblait capable de deviner correctement les numéros de page de livres choisis au hasard par une autre personne. Les meilleures conditions pour que l’enfant réussisse étaient que l’expérimentateur se tienne debout, la lumière derrière lui et le livre ouvert entre lui-même et l’enfant. Il se révéla que le garçon était capable de déchiffrer les numéros à partir des minuscules reflets répercutés sur la cornée de l’œil de l’expérimentateur. Ces reflets n’avaient qu’un dixième de millimètre de haut ; pourtant, le sens de la vue était si aigu chez l’enfant que cela suffisait à lui donner le renseignement dont il avait besoin. Très rare est ce genre de sensibilité ; il est inhabituel que quiconque soit en mesure de voir aussi bien, mais supranormal n’est pas synonyme de surnaturel. Certes, l’enfant avait la vue extraordinairement bonne, mais un sens de la vision très développé reste un phénomène fort naturel, et un vautour pourrait sans doute faire aussi bien si l’on pouvait le convaincre d’essayer.
Nous n’avons pas encore été capables de tracer des limites rigoureuses à l’acuité de nos sens de la vue, de l’ouïe, de l’odorat, du goût et du toucher. Chaque nouveau sondage de leurs possibilités semble repousser de plus en plus loin les limites de la réceptivité et l’on découvre sans cesse de nouvelles sphères de perception. Beaucoup de facultés, surnaturelles en apparence, se révèlent tôt ou tard être dues à l’hyperacuité d’un système sensoriel existant, en aucune manière extrasensoriel ; cependant, il existe un phénomène qui ne cesse de se manifester et qui reste encore à expliquer de manière satisfaisante en termes des sens traditionnels. C’est la « transmission de pensée », ou télépathie.
Télépathie
Une définition récente de la télépathie la décrit en ces termes : « Si un individu a accès à une information non disponible pour un autre [il y a télépathie] si, certaines conditions étant remplies et les canaux sensoriels connus rigoureusement contrôlés, le second individu peut démontrer qu’il a de cette information une connaissance suffisamment étendue pour être incompatible avec son acquisition par l’autre moyen possible : la divination par hasard. »
On a des milliers de comptes rendus sur ce qui semble être une communication de ce genre entre deux personnages ayant déjà de puissants liens affectifs. Le témoignage est pour une large part anecdotique et traite en général de la connaissance de crises affectant l’un des membres d’un couple – mari/femme, parent/enfant, frère/sœur – qui se trouve communiquée au moment où les crises se produisent à l’autre membre, alors ailleurs. C’est entre jumeaux identiques, qui souffrent des mêmes maladies aux mêmes époques et paraissent mener des vies très similaires, même séparés à la naissance, que ce rapport est, dit-on, le plus efficace. Ces comptes rendus sont intéressants mais presque impossibles à vérifier rétrospectivement et n’offrent aucun indice réel quant à la nature et à l’origine de la télépathie.
La tentative la plus scrupuleuse pour cacher volontairement à un individu la connaissance d’un fait donné pour voir s’il pourrait deviner correctement l’énigme est le travail effectué par Rhine et ses collègues à Duke University. Ils partirent de l’idée répandue qu’il existe une zone de l’expérience humaine où les gens paraissent connaître par « flair » ou « intuition », des choses situées hors de la portée directe de l’œil ou de l’oreille, et la soumirent à des expériences de laboratoire dans des conditions telles qu’on puisse calculer les chances que la connaissance soit acquise par pure coïncidence. Ces travaux débutèrent au début des années 1930, où Rhine utilisa pour la première fois le terme de perception extrasensorielle, ou PES, pour décrire le processus, et inaugura une interminable série de tests consistant à deviner des cartes.
Rhine employa le jeu de Zener, formé de vingt-cinq cartes comportant cinq symboles : carré, cercle, croix, étoile et lignes ondulées. Dans n’importe quel test, le résultat fortuit est de cinq sur vingt-cinq, mais dans toute une variété de situations expérimentales avec un certain nombre de sujets, Rhine constata que, nombre de fois, les résultats étaient si élevés qu’ils avaient des chances de plus d’un million contre un par rapport au hasard. Une fois une fillette de neuf ans provenant d’un foyer malheureux marqua vingt-trois points lors d’un test à son école et, amenée au laboratoire de Duke par un expérimentateur auquel elle s’était attachée affectivement, réussit à deviner correctement toutes les vingt-cinq cartes. Un étudiant de Duke, Hubert Pearce, s’intéressa beaucoup à la recherche et, mis spécialement au défi par Rhine de bien faire en un test important, identifia toutes les cartes du jeu sans exception. C’étaient là des résultats exceptionnels, manifestement influencés par les personnalités en cause et, dans des séries plus longues de ces tests affreusement monotones, si les deux sujets continuèrent de faire mieux que le hasard, ce ne fut plus qu’au niveau de sept ou huit réponses exactes seulement sur vingt-cinq. Ainsi la majeure partie des recherches de Rhine, qui se poursuivent maintenant depuis bientôt quarante ans, ne fournit-elle que des preuves de télépathie décelable seulement par la méthode statistique. Toutefois, même si la marge de succès est réduite, elle se révèle si persistante, sur des dizaines de tests, qu’elle montre bien qu’il se produit quelque chose pour provoquer cette tendance.
Les méthodes statistiques employées à Duke ont fait l’objet de critiques ; et pourtant, le président de l’Institut américain de statistique mathématique déclare : « Si l’on tient à attaquer l’enquête Rhine en toute équité, ce doit être pour d’autres motifs que des motifs mathématiques. » Spencer-Brown, de Cambridge, avance l’hypothèse que cette inflexion du hasard est bien réelle, mais qu’elle provient non tant de la télépathie que d’un facteur encore ignoré qui affecte le hasard lui-même. Pour beaucoup d’autres chercheurs, le fait surprenant quant à ces statistiques, c’est que des expériences de ce genre aient pu remporter le moindre succès. Gaither Pratt décrit les tests de cartes comme « un instrument grossièrement inefficace », lequel « étouffe la fonction même qu’il était destiné à mesurer ». Quant à la spécialiste soviétique Loutsia Pavlova, elle considère les tests de Rhine, consistant à transmettre un grand nombre de bribes d’information en peu de temps, comme le moyen le plus difficile que l’on puisse imaginer pour essayer de provoquer la télépathie. Elle dit : « Nous trouvons qu’il vaut mieux ne pas émettre les signaux trop vite. Si des bribes différentes arrivent trop rapidement, les modifications cérébrales associées à la télépathie commencent à se brouiller et finissent par disparaître. »
Une série de tests de cartes aux résultats moins équivoques a été réalisée à Londres par Samuel Soal et son sujet Basil Shackleton entre 1936 et 1943. Soal se lassa des dessins standard et fabriqua ses propres cartes, représentant cinq animaux brillamment coloriés. Dans une série effectuée au moyen de ces images, sur quoi l’inconscient pouvait avoir une certaine prise, Shackleton marqua 1,101 sur 3,789, ce qui fournit des chances contre le hasard si élevées qu’elles en deviennent presque dénuées de sens. On ne pourrait obtenir par hasard un résultat pareil, même si la population entière du globe avait tenté quotidiennement l’expérience depuis le début de la période tertiaire, voilà soixante millions d’années. Une des choses les plus intéressantes, dans ces conditions expérimentales, c’est la motivation du sujet. Soal raconte comment les tests débutèrent, un jour où la porte de son bureau s’ouvrit soudain, laissant paraître un homme de haute taille, soigné, d’une trentaine d’années. « Je suis venu, annonça-t-il, non pour subir des tests, mais pour démontrer l’existence de la télépathie. » C’était Shackleton, et une foi solide en ses propres talents joua sans aucun doute un rôle majeur dans l’obtention de résultats exceptionnels.
Le soutien officiel peut aussi aider, car en Russie les recherches sur la télépathie ont fait un grand pas, ces cinq dernières années, au cours d’expériences subventionnées par l’État. Cette ère nouvelle fut inaugurée le 19 avril 1966, au moment où Karl Nikolaïev – un acteur de Novossibirsk – parvint à établir un contact télépathique avec son ami Youri Kamensky – biophysicien à Moscou, distant de près de 3 000 kilomètres. Les deux hommes étaient sous le contrôle d’équipes scientifiques, et à un moment convenu d’avance on tendit à Kamensky un paquet cacheté, choisi au hasard dans un certain nombre de boîtes similaires ; l’ayant ouvert, Kamensky se mit à manier l’objet, l’examinant avec soin et s’efforçant de le voir par les yeux de son ami. Il s’agissait d’un ressort en métal formé de sept spirales serrées et, à Novossibirsk, Nikolaïev nota ses impressions de la manière suivante : « Rond, métallique, luisant, dentelé, ressemble à une boucle. » Dix minutes plus tard, lorsque Kamensky se concentra sur un tournevis à manche en plastique noir, Nikolaïev nota : « Long et mince, métal, plastique, plastique noir. » La probabilité mathématique qu’on puisse deviner ne fût-ce qu’un seul objet parmi tous ceux qui existent au monde est trop vaste pour être même envisagée comme une explication possible de la réussite de Nikolaïev ; aussi les autorités furent-elles dûment impressionnées et des subventions furent-elles bien volontiers accordées pour de plus amples recherches.
Bientôt se constitua le « groupe Popov ». C’est une commission de savants connue sous la dénomination collective et officielle de « Section de bio-information de la Société inter-union scientifique et technique de radiotechnologie et d’électro-communication A.S. Popov ». Leur première tâche fut d’essayer de détecter l’action de la télépathie dans le cerveau ; aussi, en mars 1967, le groupe installa-t-il de nouveau Kamensky à Moscou et emmena-t-il Nikolaïev à un laboratoire de Leningrad, où il fut installé dans une chambre isolée, insonorisée, et relié à tout un système de contrôles physiologiques. Il passa un certain temps à se mettre en état de réceptivité, état qu’il décrit comme « entièrement détendu mais attentif », et lorsqu’il indiqua qu’il était prêt, son cerveau produisait un rythme alpha régulier. Nikolaïev n’avait aucune idée du moment où serait transmis le message télépathique émanant de Kamensky ; pourtant, exactement trois secondes après que les expérimentateurs de Moscou eurent donné le signal de commencer l’émission, les ondes cérébrales de Nikolaïev se transformèrent de façon radicale et l’alpha se trouva soudain bloqué. Pour la première fois dans l’histoire, on avait obtenu la preuve manifeste de la transmission d’une impulsion d’un esprit à un autre, à plus de six cents kilomètres de distance.
En des tests ultérieurs, les enregistrements d’EEG montrèrent des modifications spectaculaires semblables dans les courbes cérébrales de l’émetteur aussi bien que du receveur et le groupe de Popov relata : « Nous avons détecté cette inhabituelle activation du cerveau entre une et cinq secondes après le début de la transmission télépathique. Nous la détections toujours quelques secondes avant que Nikolaïev eût la perception consciente de recevoir un message télépathique. Au début, il se produit une activation générale, non spécifique, des sections antérieure et moyenne du cerveau. Si Nikolaïev est sur le point de capter consciemment le message télépathique, l’activation cérébrale ne tarde pas à devenir spécifique et passe aux régions postérieures, afférentes, du cerveau. » À la réception de l’image de quelque chose comme un paquet de cigarettes, l’activité cérébrale de Nikolaïev était localisée dans la région occipitale, associée à la vue, et quand le message consistait en une série de bruits entendus par l’envoyeur, l’activité se produisait dans la région temporale du receveur, normalement associée au son.
La connexion entre la télépathie et le rythme alpha est capitale. Il semble certain que la télépathie comme la psychokinésie n’ont lieu que dans certaines conditions psychologiques, celles qui sont caractérisées par la production d’ondes cérébrales d’une fréquence particulière. Dans la PK, cela semble être le rythme thêta, mais dans la télépathie, c’est le type alpha, entre huit et douze cycles par seconde. Les sujets qui obtiennent de bons résultats dans les tests de laboratoire disent tous qu’ils adoptent un certain état d’esprit, que l’un décrivit comme « concentrer mon attention sur un seul point d’inexistence. Je ne pense à rien du tout, me contentant de regarder un point fixe et de me vider complètement l’esprit si la chose est possible ». Un autre qualifie l’état télépathique de « passivité concentrée », et un troisième le considère comme « une attention détendue ». Le psychologue William James a résolu ce paradoxe en reconnaissant deux types d’attention. L’un, c’est le type actif, qui demande un effort analogue à celui manifesté « par quelqu’un qui assisterait à un dîner en écoutant résolument un voisin lui donner à voix basse des conseils ennuyeux et non sollicités, tandis que tout autour les invités rient et parlent à voix haute de choses passionnément intéressantes ». Ce genre d’attention implique un conflit et elle est tout à fait distincte du type passif, où l’on réagit de façon presque instinctive à une excitante impression sensorielle. Un exemple de ce dernier pourrait être l’état d’une personne qui se réveille soudain au milieu de la nuit en pensant qu’elle a été dérangée par quelque chose, et qui s’assied pour guetter, pour écouter, pour attendre que la même chose se reproduise.
La production de phénomènes télépathiques ou psychokinésiques est encore assez rare pour être considérée comme anormale et il semble que chez de nombreux sujets la peur d’être capables de faire ce genre de choses provoque un état de conflit qui les empêche activement de le refaire. Beaucoup de gens qui y parviennent, dont le gagne-pain ou le prestige dépend de la production de ces phénomènes, résolvent le conflit grâce à la dissociation. Ils entrent dans un état de transe où leur esprit conscient peut refuser toute responsabilité dans les événements, ou même ils deviennent « possédés par l’esprit » de quelqu’un d’autre, à qui il est possible de les attribuer. Le succès de ces trucs psychologiques pour éviter le conflit est démontré par le fait que maints sujets semblent ne rien se rappeler du tout de ce qui s’est passé pendant la séance. Pour certains la dissociation est facile, mais d’autres semblent passer à cet effet par des combats formidables. Hereward Carrington, un des anciens « dépanneurs » de la recherche psychique, décrivit l’état d’un sujet psychokinésique à la fin de sa séance comme « faible, épuisé, nauséeux, hystérique, le visage profondément ridé, malade physiquement et mentalement : une vieille femme brisée, ratatinée ». Il nota aussi que sa dépense d’énergie nerveuse était à son apogée en présence d’inconnus, quand sa crainte d’un échec, et par conséquent son degré de conflit, était également élevé.
L’attention sans effort qui semble accompagner les séances couronnées de succès est très caractéristique de l’état psychologique accompagnant les rythmes alpha. Pour produire le rythme qui allume la lumière d’un « alphaphone » commercial, on doit réaliser justement cet état d’esprit. Autrefois, on croyait que l’alpha était continu tant que les yeux étaient fermés et qu’il cesserait de manière automatique en les ouvrant ; mais avec de la pratique, on peut garder le rythme en activité les yeux grands ouverts en évitant toute espèce de pensée analytique ou calculatrice. Cela veut dire éviter l’activité sensorielle et devenir aussi abstrait que possible ; en outre, cela doit expliquer pourquoi beaucoup de médiums préfèrent opérer dans l’obscurité, ou du moins dans un clair-obscur, et pourquoi tous insistent sur le silence. Une analyse EEG d’Einstein montra qu’il maintenait un rythme alpha assez continu même en effectuant des calculs mathématiques relativement complexes ; mais pour lui ces derniers faisaient partie de la vie quotidienne et ne demandaient pas grande dépense d’efforts. Il semble donc que l’alpha n’est pas nécessairement bloqué par les activités mentales, tant que celles-ci ne requièrent aucune attention active et n’impliquent aucun conflit.
Les techniques de méditation de l’Orient sont destinées de manière spécifique à provoquer l’attention détendue. Les textes Zen comportent l’instruction de « penser à ne penser à rien du tout », et les maîtres du yoga déclarent : « Quand l’esprit devient dépourvu de toutes les activités et reste sans changement, alors, le yogi atteint à l’état désiré ». L’accent est mis sur l’absence de conflit et, bien qu’un acte de volonté soit initialement requis pour atteindre à cet état, « une fois développée l’habitude, l’effort se trouve remplacé par la spontanéité et, au lieu que ce soit l’attention qui retienne l’objet, c’est l’objet qui retient l’attention ». Une étude effectuée sur des adeptes du kriya-yoga, à Calcutta, montra que le taux normal d’activité alpha se trouvait au niveau habituel de neuf à onze cycles par seconde ; toutefois, dans la méditation la plus profonde, ils produisaient un rythme alpha prolongé qui atteignait jusqu’à trois cycles d’accélération. Gray Walter parle d’une étude où il observa un docteur hindou entrer en méditation : « … le rythme alpha devint de plus en plus régulier et monotone, jusqu’à ce que vers la fin de l’exercice, qui dura une vingtaine de minutes, le rythme alpha devînt absolument continu, de sorte qu’il avait l’air d’une oscillation artificielle ». De telles mensurations montrent que ces états de méditation sont tout à fait différents de la somnolence, du sommeil léger, du rêve, du coma ou de l’hibernation, mais ont beaucoup plus en commun avec les courbes observées durant la télépathie couronnée de succès. Il est fort possible que les deux états naissent de la même façon et constituent des aspects différents d’une seule condition biologique.
Le groupe Popov a construit un appareil de mise en accord automatique, lequel n’est rien de plus qu’un « alphaphone », afin d’informer Karl Nikolaïev quand il est dans l’état d’esprit convenable pour recevoir des messages télépathiques. La présence de rythmes similaires à la fois chez l’émetteur et chez le receveur paraît constituer une condition préalable pour une communication réussie entre eux et la recherche russe a démontré qu’il ne s’agit pas là seulement d’une ressemblance passive et accidentelle des courbes cérébrales. Dans l’une de leurs expériences, Kamensky fut exposé à une lumière stroboscopique, clignotant à une fréquence fixe à l’intérieur du niveau alpha et, bien entendu, ce stimulus établit dans son cerveau un rythme correspondant. Nikolaïev, dans un autre bâtiment, se prépara et se mit en état de recevoir la communication en produisant ses propres rythmes alpha ; quand tous deux estimèrent qu’ils étaient en contact, on découvrit que leurs courbes se trouvaient parfaitement synchronisées. Ce n’était pas tout : chaque fois que l’on modifiait la fréquence de la lumière clignotant devant Kamensky, le rythme de Nikolaïev changeait instantanément pour s’y conformer. Des résultats similaires ont été obtenus au Jefferson Médical Collège, à Philadelphie, où deux ophtalmologistes ont démontré qu’un changement survenu dans le rythme cérébral, tel que l’émission d’ondes alpha, chez un jumeau pouvait provoquer un changement équivalent dans le cerveau de l’autre jumeau identique à une certaine distance. Ce genre de contact est apparemment plus efficace encore si les sujets se trouvent en même temps dans un état physique ou affectif accentué. Le groupe Popov attacha Kamensky à un appareil binoculaire qui produisait des éclats lumineux à fréquence différente pour chaque œil. Le double stimulus établit des courbes conflictuelles des deux côtés du cerveau et le résultat fut une immédiate nausée. Les mêmes courbes apparurent simultanément dans le cerveau de Nikolaïev, chacune du côté correspondant, et produisirent chez lui une crise de « mal de mer » si violente que l’expérience s’interrompit dans la confusion. À ce jour, c’est la démonstration la plus convaincante de la télépathie, incluant comme elle le fait des courbes cérébrales qui ne pouvaient être provoquées par aucun agent naturel.
De nouveau, la preuve est faite que les messages télépathiques les plus efficaces impliquent le traumatisme et la crise et qu’aucune nouvelle ne voyage aussi bien ni aussi vite qu’une mauvaise nouvelle. Biologiquement cela s’explique. Aucune urgence ne s’attache au plaisir et au bien-être ; il s’agit là d’états pouvant se communiquer de la façon posée habituelle, par des voies normales comme les cartes de félicitations ; mais si les signaux d’alarme sont destinés à exercer une fonction utile, ils doivent voyager par la route télégraphique ou télépathique la plus rapide possible.
En 1960, un magazine français lança la nouvelle fracassante que la marine des États-Unis recourait à la télépathie afin de résoudre le vieux problème de communication entre un sous-marin en plongée et sa base sur le rivage. Ces journalistes rapportaient que le sous-marin atomique Nautilus était en contact télépathique avec des receveurs entraînés sur le rivage et que la PES était devenue une nouvelle arme secrète. Les autorités américaines furent promptes à démentir le reportage, mais les Russes furent non moins prompts à signaler qu’eux utilisaient depuis des années ce système. La méthode soviétique utilisait des lapins en guise de radio. On descendait dans un sous-marin des lapins nouveau-nés et l’on gardait la mère à terre, en laboratoire, des électrodes implantées profond dans son cerveau. À intervalles déterminés, les lapereaux immergés étaient tués l’un après l’autre et, au moment précis où chacun de ses rejetons mourait, des réactions électriques aiguës se produisaient dans les ondes cérébrales de la mère. On ne connaît aucun moyen physique de faire communiquer un sous-marin en plongée avec quiconque se trouve à terre, et pourtant, même des lapins semblent capables d’établir une manière de contact en un moment de crise.
La possibilité d’utiliser réellement la télépathie en tant que moyen de communiquer avec les sous-marins et les vaisseaux spatiaux a été envisagée aussi bien par les États-Unis que par l’URSS, et dans les deux pays les savants se sont servis de l’idée comme d’un instrument pour soutirer à leurs gouvernements plus d’argent destiné à la recherche. Pour autant que nous le sachions, il n’en est rien sorti de véritablement pratique. La difficulté, c’est que dans l’exploration des profondeurs marines ou des lointains espaces, la fiabilité est essentielle et nul n’a réussi encore à produire un contact télépathique fonctionnant chaque fois et sur demande. Peut-être ce qui s’en rapproche le plus jusqu’ici est-il la combinaison Kamensky/Nikolaïev, où les enregistrements d’EEG montrent quand le contact a lieu et combien de temps il dure. Employant un signal morse où un contact de quarante-cinq secondes se lit comme un trait et un contact de moins de dix secondes comme un point, ils sont parvenus à faire traverser l’espace à sept signaux consécutifs pour épeler le mot russe MIG, qui veut dire « instant ». L’expérience prit vingt minutes, ce qui n’est pas exactement instantané ; toutefois, même cela représenterait une économie de temps pour s’adresser à un cosmonaute au voisinage de Jupiter, où les communications radio prendront plus d’une heure de retard. Le message, bien sûr, devrait être fort simple, et l’on a peine à imaginer n’importe quelle entreprise spatiale se fiant à un système aussi imprévisible que l’est encore celui-ci ; il pourrait néanmoins être utile en cas d’urgence.
En dehors de leur influence sur les ondes cérébrales, les contacts télépathiques semblent en avoir une également sur la pression sanguine. Douglas Dean, électrochimiste au Collège technique de Newark, a découvert qu’il n’est pas impossible que même ceux qui n’ont pas conscience de recevoir des messages télépathiques ne le fassent. Quand une personne se concentre sur le nom d’une autre avec laquelle elle est affectivement liée, le sujet éloigné enregistre une modification mesurable de la pression et du volume sanguins. Dean employa un pléthysmographe pour démontrer qu’une personne sur quatre environ possède ce genre de sensibilité. Utilisant des noms ainsi chargés d’émotion et un système où une réaction représente un point et une longue période sans stimulus un trait, il a réussi à envoyer des messages simples d’une pièce à une autre, d’un bâtiment à un autre et même dans un cas, sur près de deux mille kilomètres, de New York en Floride. Cette découverte concorde avec les résultats russes, d’après quoi des individus en contact apparemment télépathique ont un battement de cœur plus rapide, de plus grands bruits cardiaques, et dans certains cas une parfaite synchronisation du pouls entre émetteur et receveur.
On a émis l’hypothèse que ce rapport physique pourrait être accentué par des champs électromagnétiques. Un ingénieur électronicien de Washington rapporte qu’« en travaillant sur des machines à fréquence élevée, mes collègues et moi nous sommes brusquement aperçus que nous avions parfois des communications télépathiques ». Il se peut que le corps entier soit en cause. Une étude montre qu’un accroissement de l’activité électrique et donc une diminution de la résistance cutanée ont lieu au moment du contact, mais la plupart des indications signalent le fait que la détente physique, donc une diminution du tonus musculaire et de la réaction cutanée, est essentielle. Les électromyographes attachés aux bras de yogis en méditation ne montrent pas la moindre réaction, même quand la séance dure plus de deux heures. La détente produit une diminution du taux respiratoire, ainsi qu’une augmentation correspondante de la pression d’acide carbonique dans les poumons. À son tour, cela provoque une élévation de la tension en acide carbonique du sang artériel et quand ce sang comparativement peu oxygéné atteint le cerveau, il déclenche une réaction en chaîne où les vaisseaux sanguins se dilatent pour augmenter le taux d’afflux et où le rythme du cerveau s’accélère tandis qu’il lutte afin d’obtenir l’oxygène dont il a besoin. En général, cette réaction produit de rapides rythmes alpha, de la fréquence exacte qui paraît favorable à la télépathie. La perte accidentelle de sang produit la même déficience avec les mêmes résultats et, phénomène intéressant, les gens qui perdent du sang déclarent souvent être détendus et détachés, se bornant à regarder le monde comme il va, et voyant très clairement les choses et les gens. Une autre cause, plus commune, de privation d’oxygène est l’altitude élevée.
Serait-ce pure coïncidence qu’un si grand nombre de techniques transcendantes aient été mises au point par des gens vivant à de grandes altitudes dans l’Himalaya ? Un membre de la première expédition réussie à l’Everest décrit ses réactions à plus de sept mille mètres, lorsqu’il sentit « la présence d’une moitié de moi-même prenant son essor au-dessus de moi, sublimement résolue, consciente de la beauté d’alentour. Elle gronde, encourage et réconforte l’autre moitié, peinant lugubrement dessous ».
Si étroite est la correspondance entre les conditions qui paraissent le mieux convenir à la télépathie et celles qui se présentent dans la méditation qu’il est tentant de mener plus avant encore les parallèles. Tous les groupes qui pratiquent la méditation ont aussi des régimes alimentaires très stricts. Ils sont presque complètement végétariens pour des raisons ostensiblement morales ; cependant, leurs préférences alimentaires pourraient bien reposer également sur une base physiologique. La viande a l’effet direct d’accroître l’acidité du sang et notre corps y réagit en abaissant à titre de compensation la quantité de gaz carbonique acide. Un régime végétal a l’effet contraire : il réduit l’acidité et la compensation de ce phénomène provoque une élévation de la pression d’acide carbonique dans les poumons, ainsi qu’une réduction de la quantité d’oxygène atteignant le cerveau. Ainsi, un repas végétarien a-t-il en gros le même effet qu’une élévation de l’altitude – et les yogis dînant de riz et de fruits au niveau de la mer en Inde font-ils physiologiquement chaque jour des ascensions dans les montagnes.
Beaucoup des conditions physiques qui semblent faire partie d’un étal favorisant la télépathie se présentent aussi dans le sommeil. Le tonus musculaire est réduit, la respiration et la pression d’acide carbonique sont diminuées, et le cerveau ne s’occupe en général ni d’analyse ni de calcul. Au Maimonides Hospital, à New York, un « laboratoire du rêve » a été créé, en premier lieu pour des recherches concernant le sommeil et le rêve, mais aussi pour enquêter sur la possibilité de télépathie entre un émetteur et un receveur endormi. L’un des membres de l’équipe qui y travaille déclare : « Beaucoup de personnes incapables de communication normale sur les modes normaux peuvent communiquer à un niveau télépathique et surprendre le thérapeute par des rêves pleins de conscience, y compris celle des problèmes du médecin ». L’information incluse en ces rêves aurait pu avoir été acquise de façon normale au cours d’une séance psychanalytique ; aussi mit-on au point une série d’expériences où les émetteurs essayaient de communiquer lorsque les courbes d’EEG montraient que le receveur se trouvait en train de rêver. L’un des objets d’expérience était le tableau de Dali, le Sacrement de l’Eucharistie, et, à son réveil, le sujet raconta un rêve où il s’agissait d’un groupe de gens, d’un bateau de pêche, d’un verre de vin et de nourrir les foules. Une autre fois, les émetteurs étaient deux mille personnes à un concert pop donné dans un théâtre proche et la cible était un homme en train de méditer dans la position du lotus, qu’elles pouvaient voir sur l’écran au-dessus des exécutants. La situation « concert » fut choisie parce que « la musique fait appel à la nature non verbale de l’être, à des niveaux de conscience situés au-dessous de l’intellect ». Cela sembla fonctionner : le sujet rêva d’un saint homme en train de capter l’énergie du Soleil.
Plusieurs chercheurs émettent l’hypothèse que la télépathie est masquée par la conscience et ne se produit que lorsque, la garde étant abaissée, elle peut éluder la censure active de notre esprit. Il semble exister des conditions spécifiques où la télépathie peut avoir lieu et tenter de l’étudier en laboratoire sous conditions de contrôle est un peu comme essayer d’étudier le comportement d’un animal mort. Être assis à une table des heures d’affilée pour tenter de deviner la succession de cinq symboles dépourvus de signification dans le jeu de cartes de quelqu’un d’autre ne paraît guère à même de dénuder les régions inconscientes où les facultés de télépathie ont des chances de se trouver latentes. Notre inconscient réagit beaucoup plus volontiers à des situations émotionnelles. Cela peut se démontrer fort aisément par une expérience comme celle où des sujets se virent présenter dix syllabes dépourvues de sens, dont cinq furent accompagnées d’un choc électrique, jusqu’à ce qu’ils devinssent conditionnés et produisissent des réactions électriques aux paumes chaque fois qu’ils voyaient les syllabes « choquantes ». Les syllabes furent alors projetées sur l’écran si vite qu’aucun des sujet ne pouvait consciemment les distinguer ; pourtant, leur esprit inconscient voyait les motifs de façon parfaitement claire et produisait le réflexe à chaque fois qu’on lui montrait un bref aperçu des syllabes liées aux chocs. L’inconscient se trouve actif à tout moment, mais des techniques de ce genre sont nécessaires pour l’induire – au besoin de force – à lâcher son information.
Le meilleur instrument que nous possédions pour explorer l’inconscient, c’est l’hypnose. Le psychiatre Stephen Black a dit : « L’hypnose n’est pas seulement le moyen le plus simple et le plus pratique de prouver l’existence de l’inconscient – encore mis en doute dans certains milieux –, mais en réalité l’unique façon dont les mécanismes inconscients peuvent être manipulés dans des conditions expérimentales renouvelables, à des fins d’investigation. » L’induction de l’hypnose dépend de l’établissement d’un rapport entre hypnotiseur et sujet, rapport qui ressemble à première vue beaucoup à l’une des conditions préalables de la télépathie. Il n’existe néanmoins aucune courbe d’EEG qui soit particulière à l’hypnose, et l’on n’a pas le moindre indice pour supposer que l’hypnotiseur et le sujet entrent dans un état de liaison physiologique pareil à celui de Kamensky et Nikolaïev ; il y a pourtant des cas d’expérience partagée. Le physicien Sir William Barrett effectua une série de tests avec une fillette : « Debout derrière l’enfant, dont j’avais dûment bandé les yeux, je pris du sel et me le mis dans la bouche ; aussitôt, elle cracha en s’écriant : “Pourquoi me mettez-vous du sel dans la bouche ?” Ensuite, j’essayai le sucre ; elle dit : “C’est meilleur” ; interrogée sur ses impressions, elle répondit : “Sucré”. Puis la moutarde, le poivre, le gingembre, etc., furent essayés ; chacun fut nommé et, semble-t-il, goûté par la fillette quand je les mis dans ma propre bouche ; mais lorsqu’ils furent placés dans la sienne, elle parut n’en pas tenir compte. »
Ce genre de communication n’a pas été prouvé ; toutefois, s’il existe, il apporterait un solide appui à l’idée jungienne d’un inconscient collectif où toute expérience est partagée. Même Freud, bien que lui-même eût de la difficulté à provoquer l’hypnose, estimait que la télépathie se produisait le plus facilement dans des situations psychanalytiques, où l’inconscient se trouvait exposé à l’examen attentif. Son essai sur La Psychanalyse et la Télépathie ne fut publié qu’après sa mort, mais vers la fin il écrivait : « Si je devais recommencer ma vie, je me consacrerais à la recherche psychique plutôt qu’à la psychanalyse. »
On dirait que la télépathie est perçue par l’inconscient de façon régulière et n’effectue que de temps en temps des percées jusqu’aux niveaux conscients. Il semble exister une barrière qui l’empêche de faire surface en notre esprit conscient, et pour surmonter ce blocage, nous, ou ceux, comme le psychanalyste ou l’hypnotiseur, qui nous assistent, devons trouver quelque détour ou quelque subterfuge afin de le circonvenir. Les vieux phénomènes médiumniques de la « parole automatique » et de l’ « écriture automatique » en état de transe pourraient bien constituer pour l’esprit conscient des moyens de « passer la main » et d’abdiquer ses responsabilités. Il se pourrait que les rêves et les hallucinations fussent d’autres façons de contourner le refoulement. Il est tout à fait possible que beaucoup de nos pensées quotidiennes soient d’origine télépathique, ou du moins partiellement télépathique, et que nous ne les prenions pour nôtres que parce qu’elles se sont mélangées avec beaucoup de choses qui sont authentiquement nôtres en franchissant le seuil qui sépare l’inconscient de la pleine conscience.
Il me paraît que la télépathie, définie en tant que « l’accès à de l’information détenue par autrui sans utilisation des canaux sensoriels normaux », est prouvée sans qu’il reste aucun doute. Elle fait trop partie aussi bien de l’expérience commune que de l’investigation contrôlée pour être plus longtemps rejetée. Nous possédons maintenant un grand nombre de documents sur une communication qui se produit en dehors des canaux normaux ; pourtant, nous n’avons encore que fort peu d’idées sur la façon dont elle pourrait fonctionner.
Nous connaissons pas mal de choses sur la façon dont elle ne fonctionne pas.
Leonide Vassiliev, physiologiste à l’université de Leningrad, a fait une longue et scrupuleuse série d’expériences pour essayer de dépister la longueur d’onde télépathique. Il a commencé par deux sujets d’hypnose qui pouvaient être mis en transe à distance par ce qui ne saurait être que des moyens télépathiques. Cela lui fournit un phénomène répétable, capable d’être branché et débranché à volonté, sondé, disséqué en vue de révéler ce qui, espérait Vassiliev, constituerait la base physique de la transmission. Il élimina la plupart des possibilités électromagnétiques normales en plaçant les sujets dans une cage de Faraday ; ils n’en continuèrent pas moins de s’endormir sur induction télépathique. Il construisit une capsule en plomb, munie d’un couvercle qui se scellait soi-même dans une rainure emplie de mercure ; le message n’en continua pas moins de passer. Finalement, lorsqu’il découvrit que cela marchait sans tenir compte des distances impliquées, Vassiliev s’avoua vaincu.
La découverte du fait que la télépathie semble être indépendante de la distance a troublé les enquêteurs, étant donné que la plupart des forces physiques connues diminuent à proportion de la distance qu’elles parcourent – conformément à une loi bien connue. Au cours des années récentes, néanmoins, la loi s’est trouvée enfreinte. Beaucoup de métaux, quand on les refroidit à la température de l’hélium liquide, peuvent être amenés à transmettre un courant électrique sans la moindre perte due à la résistance ou à la distance en cause. Dans cet état, ils sont connus sous le nom de superconducteurs, et ce qu’ils font équivaut presque au mouvement perpétuel aussi longtemps que se trouvent maintenues les basses températures. On a maintenant l’espoir de pouvoir fabriquer de nouveaux alliages qui permettront la superconduction à des températures beaucoup plus élevées, peut-être même à température normale, et ce que ces nouveaux matériaux stratifiés ont de particulièrement intéressant, c’est que le métal s’y trouve pris en sandwich entre des bandes d’un composé organique. Ces matériaux nouveaux sont aussi plus directionnels que les anciens, car ils permettent de ne faire passer les courants que par certaines voies. En cela, ils rappellent les découvertes que, dans certaines conditions, des radiations telles que des ondes radio peuvent être canalisées de façon que non seulement elles arrivent à leur destination sans diminution de puissance, mais parfois même gagnent en force. Des travaux sur les bruits produits par les baleines montrent que ces mammifères recherchent délibérément les zones de courants sous-marins inversés de grandes profondeurs, où parfois une couche d’eau chaude est prise entre deux couches d’eau plus fraîche, et ils emploient ces couches comme des câbles sous-marins pour communiquer peut-être sur des milliers de kilomètres à travers tout un océan.
Cela soulève la question de savoir pourquoi, si de tels canaux existent, nous n’avons pas été capables de les détecter ou de les détourner dans l’espace entre deux personnes en apparent contact télépathique ? La réponse peut être qu’ils dépendent de particules mathématiquement imaginaires, La physique moderne emploie souvent des particules virtuelles, aux énergies et masses imaginaires, pour décrire des fonctions du monde physique. Un exemple est le « neutrino » qui n’a pas de caractéristiques physiques positives et n’est observable que par inférence, bien qu’il joue un rôle capital dans l’interaction d’autres particules fondamentales. Le neutrino et sa contrepartie l’antineutrino n’ont jamais été directement découverts ; pourtant, tout physicien compétent d’aujourd’hui est convaincu de leur existence, pour la simple raison qu’il ne peut voir aucun moyen par quoi, sans eux, certaines réactions pourraient se produire. La situation, en ce qui concerne la télépathie, est très voisine. Certains phénomènes ont été observés de façon régulière, dans une large variété de conditions, et il n’y a aucune raison de prétendre qu’un agent physique n’existe pas simplement parce que nous ne pouvons encore le voir.
Admettant l’existence de la télépathie et reconnaissant notre échec à découvrir son mode d’action, nous en restons toujours à nous demander à quoi elle sert. D’abord, pourquoi a-t-elle surgi dans le cycle de l’évolution ? Et si elle n’est pas limitée à l’homme, en quoi consiste sa fonction biologique ?
Sir Alister Hardy, ancien professeur de zoologie à Oxford, a depuis 1949 rendu perplexes ses confrères plus orthodoxes avec sa notion que la télépathie pourrait être la clé d’un principe biologique fondamental qui a joué dans l’évolution un rôle majeur. Hardy argue qu’il y a peu de chances que le développement du langage, quelque important qu’il ait été pour l’homme, ait produit par-dessus le marché des modes extrasensoriels de perception et suppose même qu’il aurait dû avoir l’effet contraire. Le langage a contribué sans aucun doute au développement de la raison, à l’échange des idées, à la conception et à la propagation d’inventions nouvelles, ainsi qu’à l’accroissement de notre cortex cérébral, mais il se pourrait aussi qu’il ait refoulé, au profit de la communication orale bien plus précise, une forme plus primitive de connaissance. Jusqu’à l’âge d’environ dix-huit mois, les enfants ressemblent beaucoup à des chimpanzés du même âge ; ils ont des intérêts, un intellect similaires, et peuvent communiquer fort efficacement suivant le vieux mode visuel. Les adultes eux-mêmes, lorsqu’ils sont privés des avantages du langage et des clés linguistiques, voient, entendent, ressentent, se déplacent, explorent, d’une façon qui ressemble fort à celle des animaux. Un homme incapable de prendre des notes ou de tracer un plan ne vaut pas mieux pour franchir un labyrinthe qu’un rat blanc dressé. En ce qui concerne la connaissance explicite, exprimée en mots, formules et diagrammes, nous sommes imbattables ; mais dans la connaissance tacite de ce que nous sommes juste en train de faire, avant que cela ne s’exprime en mots ou symboles, nous sommes inférieurs à beaucoup d’autres espèces.
Hardy a dit : « Peut-être nos idées sur l’évolution seraient-elles modifiées si l’on découvrait que quelque chose d’apparenté à la télépathie… constituait un facteur dans le modelage des types de comportement parmi les membres d’une espèce. S’il existait un plan de comportement de groupe inconscient réparti entre les individus de l’espèce et les reliant… il pourrait agir par sélection organique pour modifier le cours de l’évolution. »
Par « sélection organique », Hardy voulait dire que les combinaisons de gênes les mieux adaptées aux habitudes d’un animal tendraient à subsister de préférence à celles qui n’offrent pas un champ d’action complet au type de comportement de l’animal. Par exemple, si un oiseau se nourrissant habituellement d’insectes provenant de la surface de l’écorce des arbres s’apercevait qu’à mesure que l’homme gagnait du terrain et que les insectes devenaient plus rares, il pouvait se procurer plus de nourriture en fouillant l’écorce, il pourrait modifier dans cette direction ses habitudes alimentaires. Si tous les membres de l’espèce adoptaient alors la nouvelle habitude de fouille, ceux dont les gènes leur donnaient l’avantage d’un bec un peu plus allongé auraient de meilleures chances de survivre. Avec le temps, toute la population posséderait un bec plus allongé ; et une modification évolutive de l’aspect se serait produite en raison d’un simple changement de comportement.
En Europe occidentale, la mésange bleue, Parus caeruleus, a récemment appris à ouvrir les couvercles en feuille d’étain des bouteilles de lait déposées sur les perrons pour boire la crème de la surface. Ce type de comportement se répand vite à travers le continent, par imitation semble-t-il, et si les laiteries continuent de livrer leur produit dans le même emballage, il se peut que tôt ou tard ces petits oiseaux développent un bec mieux conçu pour exploiter une source neuve et précieuse de nourriture.
En ces deux cas, le changement de comportement est provoqué par un changement de l’environnement. La plupart des acquisitions évolutives sont de cet ordre et se produisent en réponse à des pressions externes du climat ou aux actions de prédateurs ou de rivaux. Les végétaux évoluent de façon tout à fait semblable, se développant en des directions qui leur sont imposées par les forces sélectives du Soleil et de la pluie, du sol et de l’abri, de la compétition avec les plantes voisines et de la destruction par les herbivores brouteurs. Le carnaval fantastique des fleurs est produit entièrement au profit des animaux dont la plante a besoin pour venir distribuer son pollen. L’orchidée australienne Cyptosylia leptochila s’est dotée d’une fleur qui est une réplique parfaite, y compris ses taches aux bons endroits, de l’abdomen d’une mouche ichneumon femelle, la Lissopimpla semipunctata. Attiré par la fleur, le mâle essaie de s’unir à elle et, ce faisant, ramasse du pollen qu’il porte à son prochain rendez-vous décevant. Il s’agit là d’un exemple net du rôle d’un comportement animal dans l’évolution morphologique d’une plante. Les animaux dépendent moins de ce genre de forces extérieures de sélection mais peuvent, grâce à leur nature exploratrice, provoquer des modifications dans leur propre apparence en modifiant leur comportement.
Cette distinction est importante, car les adaptations produites par sélection externe sont généralement limitatives et négatives par nature, façonnant un organisme en vue de l’insérer plus facilement dans le cadre de l’environnement où il se présente. Les adaptations produites par les types de comportement propres à l’animal sont beaucoup moins prédéterminées et peuvent l’amener à sortir de ce cadre pour explorer et coloniser des modes de vie tout à fait nouveaux. Les pattes des loutres ne seraient jamais devenues des pieds palmés ni celles des dauphins leurs nageoires, si l’un de leurs ancêtres entièrement terrestres n’avait dévié de sa routine habituelle pour se mettre à patauger. Et c’est ici qu’intervient la télépathie.
Certains de ces changements de comportement ou de morphologie se sont produits dans un laps de temps relativement bref, et il est difficile de voir comment cela aurait pu se produire, dans tous les cas, par les seules expériences par essais et erreurs d’occasionnels individus aventureux. Les habitudes et les idées nouvelles peuvent se répandre par imitation, comme elles paraissent le faire chez les mésanges buveuses de lait et chez une population de singes d’une île japonaise, lesquels ont appris à descendre à la mer, pour les laver, les patates douces. Même ici, des problèmes se posent : la vogue des bouteilles de lait s’est propagée à un rythme qui inquiète les laitiers, et il semble qu’un deuxième groupe de singes, sur une île voisine, ait aussi récemment et inexplicablement commencé de rincer sa nourriture.
L’existence d’un lien télépathique inconscient chez les membres de la même espèce pourrait contribuer de façon importante à la constitution et à la stabilisation de nouveaux types de comportement. Whately Carington, qui, à une certaine période, a réalisé des expériences sur la transmission télépathique de dessins entre personnes, a avancé l’idée que d’autres modèles comme les toiles complexes de certaines araignées pouvaient être transmis de la même façon. « J’émets l’hypothèse que des comportements instinctifs d’ordre supérieur ou de type complexe de cette sorte peuvent provenir du fait que l’individu concerné est relié à un système plus vaste (ou inconscient collectif, si on préfère) où se trouve emmagasinée toute l’expérience de tissage de toile de l’espèce. » Il est absurde de prétendre que le comportement instinctif peut être gouverné par un inconscient collectif : nous savons maintenant sans doute possible qu’il est commandé par l’hérédité génétique, mais il se peut que la télépathie ait son utilité avant qu’une habitude ne soit génétiquement fixée. Il faut qu’une habitude se répande largement avant de pouvoir être incorporée dans le répertoire d’une espèce et elle pourrait être efficacement propagée et stabilisée par quelque système télépathique. Sans télépathie, on a peine à imaginer comment un modèle instinctif compliqué pourrait se développer chez des animaux invertébrés dont il est fort peu vraisemblable qu’ils acquièrent de nouvelles habitudes par imitation ou tradition.
Pour que puisse fonctionner un système de ce genre, la nouvelle d’une découverte inédite devrait être largement diffusée, de la même façon qu’un cri d’alarme, et non confinée à un confortable contact télépathique entre deux interlocuteurs. La plupart des expériences humaines se sont déroulées selon le type à ligne unique ; cela ne signifie pourtant pas que des lignes groupées soient impossibles. Au cours de la longue série d’expériences entre Kamensky et Nikolaïev, on introduisit une fois une tierce personne. Tandis que Kamensky se trouvait à Leningrad en train de transmettre à Nikolaïev à Moscou, à l’insu de l’un et de l’autre, un intercepteur, Victor Milodan, fut installé dans un autre immeuble à Moscou. Cinq messages furent transmis ce soir-là et Milodan parvint à « écouter aux portes » assez bien pour en identifier deux avec exactitude. Ainsi, même le plus moderne et accompli des espions, spécialement formé aux techniques télépathiques, risque-t-il encore d’avoir des ennuis avec des micros clandestins !
La télépathie pourrait aussi être utile à la cohésion des sociétés complexes comme celles des abeilles et des fourmis [14]. Nous savons qu’une partie de cette fonction est remplie par des substances chimiques, les phéromones, qui circulent au sein de la ruche et font savoir à tout le monde que la reine se trouve toujours en vie. Chaque abeille et fourmi ouvrière possède en outre un complexe de glandes qui émettent des odeurs destinées à des situations particulières comme le tracé d’une piste en direction d’une source alimentaire, ou le fait de « sentir » une alarme. Chez les fourmis, l’odeur d’alarme est conservée dans les glandes mandibulaires et, déchargée dans l’air calme, forme une sphère atteignant un diamètre maximal de quelque huit centimètres en quinze secondes qui se résorbe et disparaît ensuite tout à fait en trente-deux secondes. Ainsi, la sphère d’alarme ne s’étend que sur une courte distance autour de son motif, mettons l’intrusion d’un insecte étranger, et n’affecte pas le reste du nid. La chose est d’importance, car il y a tant de dérangements mineurs, chaque jour, que la colonie en arriverait à une paralysie complète si chaque signal d’alarme était diffusé de façon générale ; il existe pourtant des situations où une action plus concertée se révèle nécessaire et où les effets locaux et à court terme de l’alarme olfactive sont inadéquats. Dans ces cas, la télépathie serait d’une grande utilité, et il n’est pas impossible qu’elle soit réellement employée.
Ivan Sanderson a étudié, en Amérique tropicale, les fourmis moissonneuses du genre Atta et signale une remarquable activité communautaire. Ces fourmis construisent un réseau de routes complexes, bien dégagées, qui rayonne autour de leur cité souterraine sur une distance atteignant huit cents mètres en direction de tous les sites alimentaires utiles du voisinage. Si l’une de ces routes vient à être bloquée par la chute d’une branche ou quelque autre obstacle, le trafic est interrompu jusqu’à l’arrivée des fourmis policières spéciales pour diriger la construction d’une déviation. Sanderson fut frappé par la vitesse à laquelle arrivaient les renforts et installa un certain nombre de blocages routiers de son cru, où lui-même et ses assistants se trouvaient installés de loin en loin au long de la route, munis de chronomètres. Ils virent « un grand détachement de police arriver au pas de charge sur la route en provenance du nid, large d’environ cinquante fourmis côte à côte, et rang après rang », presque instantanément. Le temps était trop insuffisant pour que la nouvelle du désastre eût été transmise par toucher d’antenne à antenne sur tout le chemin du retour, le vent soufflait du nid et n’aurait pas tardé à disperser toute odeur d’alarme, il faisait sombre et aucun son ne paraissait en cause. Il est certain que les Atta possèdent un système de télécommunication qui semble être indépendant des sens chimiques et mécaniques connus. Il est donc possible que ces fourmis, et d’autres espèces voisines, soient capables d’utiliser un genre de télépathie, et peut-être est-ce déjà le cas.
Une colonie d’insectes sociaux c’est, dans un sens très réel, un organisme unique. La reine représente l’organe sexuel et la glande endocrine maîtresse ; les ouvrières constituent la voie reproductrice, le canal digestif et les organes régénérateurs ; la police représente les activités de régulation ; quant aux soldats, ils équivalent aux organes de défense. Un système d’instincts les unit tous en une seule structure indépendante où les intérêts des parties sont subordonnés à ceux de l’ensemble. Il ne serait pas surprenant de constater qu’un tel organisme est doté d’un esprit rudimentaire. Après tout, les fonctions de l’esprit humain ne sauraient être liées à n’importe quelle cellule particulière ou même à n’importe quel groupe de cellules. Le cerveau se compose de bien plus d’éléments qu’il n’en existe au sein d’une colonie de fourmis et n’en parvient pas moins à fonctionner comme un tout, avec une communication plus ou moins complexe entre ses cellules distinctes. Les impressions sont recueillies en différentes régions et incorporées dans l’esprit exactement de la même façon que, ainsi que je le suggère, l’information provenant de sources différentes serait incorporée dans une union télépathique entre les animaux individuels apparemment disparates qui forment une communauté. Cette communion peut même franchir un pas de plus, et comprendre tous les individus appartenant à la même espèce. Il se peut que pour chaque espèce il existe un genre de modèle psychique, impliquant un partage inconscient de types de comportement et peut-être même de morphologie.
En biologie, un des plus importants problèmes inexpliqués est celui de l’organisation. Chez la drosophile, il existe un gène particulier qui gouverne la formation des yeux. Si ce gène est altéré par mutation, il en résulte une mouche sans yeux qui, mêlée à d’autres pareilles, produira une lignée de mouches aveugles. Toutefois, au bout d’un moment, le complexe des gènes se réorganise tout seul, quelque autre gène intervient pour remplacer le gène endommagé – et soudain, les mouches ont de nouveau des yeux. Si l’on greffe une partie d’un œil de grenouille au-dessous de sa peau, n’importe où sur son corps, les cellules épidermiques de cette région formeront un cristallin parfait. Ainsi la structure de l’œil, chez la mouche et la grenouille, ne dépend-elle pas seulement d’un gène spécial ou de cellules spéciales.
On dirait qu’existe quelque part une sorte d’organisateur, un maître plan qui sait à quoi devrait ressembler l’animal et qui en cas de besoin prendra les dispositions nécessaires. Bien que la majeure partie de cette organisation se trouve aux mains de l’ADN – l’unique molécule porteuse de l’héritage de chaque espèce –, cela ne paraît pas suffisant. Ce qui est remarquable dans le phénomène vie, ce n’est pas qu’elle existe sous une telle variété de formes, mais que tant de formes réussissent à maintenir aussi longtemps leur aspect et leur intégrité fondamentaux, face à la multitude des forces environnantes qui tentent sans arrêt de les désintégrer. Certes, le code ADN apporte des instructions déterminant la forme physique générale, mais peut-être existe-t-il un autre organisateur, un genre de courant d’expérience partagée qui ne permet de survivre qu’aux meilleurs exemplaires du modèle de l’espèce. C’est peut-être la télépathie qui joue ce rôle.
Intuition
Charles McCreery, de l’Institut de recherche psychophysique a Oxford, reste sceptique quant aux modifications physiologiques présentées par certains chercheurs comme preuve des manifestations télépathiques. Il préfère établir une distinction fondamentale entre l’ « appareil physiologique en tant que moyen de provoquer un état conscient de PES, et l’appareil physiologique en tant que détecteur de la PES ». Cela signifie que McCreery n’est pas certain de la télépathie elle-même, mais croit possible de reconnaître les conditions où elle se produira. Il dresse comme suit la liste de ces conditions : activité alpha continue et souvent légèrement accélérée ; diminution du tonus musculaire ; accroissement de la pression d’acide carbonique.
S’il existe un état physiologique nettement défini où la télépathie a le plus de chances de se produire, il doit être possible à quelqu’un de s’entraîner à reconnaître cet état de la même façon que l’on peut apprendre à produire à volonté des rythmes alpha ou la diminution de la pression sanguine. Peut-être est-ce en cela que consiste l’intuition : en une simple aptitude à reconnaître l’état télépathique et à mettre à profit cette connaissance pour déclarer : « Je ne sais pas pourquoi, mais je suis sûr que… » Cela signifierait que l’intuition est une vague connaissance consciente de l’inconsciente réception d’une information télépathique. Dans beaucoup des tests de télépathie, les sujets éprouvent effectivement une sensation particulière à propos de certaines conjectures ou impressions, et déclarent que certaines « semblent meilleures » que d’autres, ou que « quelque chose leur dit » que tout va bien. Souvent, ces impressions se révèlent exactes ; pourtant, on est loin de disposer d’assez d’informations pour prouver qu’une telle corrélation existe bien. En théorie, il devrait être possible de faire des tests conçus de façon que le sujet retienne ses conjectures jusqu’à ce qu’il éprouve ce sentiment intuitif de « justesse ». Mais jusqu’ici, on n’y est pas parvenu et la connexion entre la télépathie et l’intuition reste obscure.
Il est possible qu’il n’existe aucune corrélation du tout entre les deux. L’un des jeux à quoi joue le psychiatre Éric Berne consiste à deviner l’âge, les occupations, l’adresse et la situation de famille des gens qu’il rencontre. En cela, il paraît souvent réussir de façon remarquable et on a émis l’hypothèse qu’il utilise la télépathie pour se procurer l’information ; toutefois, il a le sentiment que son intuition repose sur des indices sensoriels normaux. Il suppose que « les perceptions sont disposées de manière automatique juste au-dessous du niveau de conscience ; les facteurs subconsciemment perçus sont triés, se mettent automatiquement en place et sont intégrés dans l’impression finale, laquelle est enfin verbalisée non sans quelque incertitude ». Berne dit qu’il peut déterminer quand son intuition fonctionne bien, et que les conditions nécessaires à la réussite de la conjecture impliquent « un contact rétréci, concentré, avec la réalité extérieure ». Ce qui paraît similaire à l’état d’« attention détendue » de la bonne télépathie ; mais il est possible que l’information télépathique de même que les impressions subliminales soient reçues quand l’esprit se trouve en cette disposition. Nous savons que sous hypnose l’inconscient peut se remémorer des choses incroyables, comme le nombre de marches gravies pour monter au bureau de quelqu’un d’autre la semaine précédente, ou la quantité des lampadaires dans la rue, en bas, mais nous n’avons aucune idée de la raison pour laquelle est recueilli ce genre d’information, ni du moment où il l’est.
L’inconscient paraît donc absorber beaucoup plus d’informations concernant l’environnement que nous ne le soupçonnions et que la barrière entre processus inconscients et conscients constitue un de ces filtres vitaux qui nous évitent d’être inondés par les sensations. S’il en va de la sorte, il n’est pas surprenant que nous ayons peine à passer la barrière : notre vie dépend du fait qu’elle soit maintenue intacte. De temps en temps, la paroi a une fuite qui se manifeste sous forme de rêves et d’hallucinations et l’intuition représente peut-être une autre brèche, qui se produirait en cas d’urgence, quand l’information peut avoir pour nous une importance vitale. Le plus souvent, les intuitions sont le fruit de l’expérience antérieure : souvenirs, souhaits, espoirs et peurs qui ont été emmagasinés dans l’inconscient, mais parfois elles peuvent contenir une information tout à fait nouvelle, peut-être obtenue par télépathie.
L’usage parcimonieux que nous faisons de l’intuition pourrait bien provenir de la complexité de nos vies conscientes. Nous considérons l’intuition comme un autre moyen que la démarche logique de l’intellect et tendons à diviser les gens entre ceux qui agissent davantage émotionnellement – sur la base de l’intuition – et ceux qui adoptent une attitude intellectuelle devant toutes les décisions. Traditionnellement, on prête aux femmes de plus grands pouvoirs intuitifs, mais il y a peu de preuves à l’appui ; toutefois, il est possible que les femmes soient forcées d’être plus intuitives uniquement parce qu’on leur a refusé la chance d’un développement intellectuel. Chez des espèces ayant moins d’aptitude au raisonnement et une conscience moins active, les barrières semblent très réduites et chez la plupart tout à fait inexistantes ; cela ne signifie pourtant pas que ces espèces perdent de vue la distinction entre « soi » et « non-soi ».
Les hirondelles perchées sur un fil télégraphique s’espacent entre elles de presque exactement quinze centimètres ; pour les mouettes, la distance est de trente centimètres, et chez les flamants la distance individuelle atteint une soixantaine de centimètres. L’homme trace autour de son corps le même genre de cercle invisible et le diamètre de ces zones peut constituer une bonne indication de son état émotionnel. Le psychiatre August Kinsel a découvert que l’espace personnel entourant une personne normale, bien équilibrée, est cylindrique et s’étend en gros sur cinquante centimètres dans toutes les directions. Il apparaît que chacun de nous défend cette zone et Kinsel a constaté que l’espace est très nettement plus grand chez les personnes de nature violente. Lorsqu’il essaya de s’approcher de prisonniers qui avaient commis des actes de violence, il s’aperçut qu’ils l’arrêtaient à une distance atteignant près d’un mètre et manifestaient une tension et une hostilité nettement croissantes à mesure que diminuait la distance, quand il empiétait délibérément sur leur espace. Leur zone personnelle faisait également saillie derrière eux jusqu’aux environs d’un mètre vingt et ils considéraient toute approche venant de cette direction comme particulièrement menaçante.
Ces zones sont en partie sous contrôle conscient. Entassés dans un ascenseur ou dans un autobus, nous refoulons soigneusement notre hostilité et nous disposons de manière à nous détourner de nos voisins les plus proches, en une attitude qui les rassure un peu. Il se peut qu’en pareilles circonstances nous évitions aussi l’agressivité par une saisie intuitive des intentions des autres individus. Point n’est besoin de mettre en cause ici la télépathie ou toute autre réceptivité extrasensorielle, mais simplement une perception inconsciente d’autrui. Les travaux sur les champs vitaux suggèrent qu’un groupe de gens rassemblés crée un champ composite ayant un caractère distinct et que l’addition d’un nouvel individu à un groupe ne fait pas qu’ajouter quantitativement au champ, mais en transforme souvent tout à fait le modèle. De manière inverse, nous connaissons tous le sentiment de vide et de perte qui naît parfois lorsqu’une personne, laquelle peut n’avoir pris aucune part active à une conversation, quitte un groupe. Le caractère du groupe, son sujet de conversation et son activité, tout cela peut changer au point que la réunion elle-même en arrive à se disperser.
Ce champ de perception sociale semble être celui où l’intuition joue son rôle le plus actif. Qu’elle ait ou non quelque chose à voir avec la télépathie, elle fournit à coup sûr un utile moyen d’accès à des sources inconscientes d’information provenant de notre environnement et des autres organismes qui s’y trouvent.
Il existe quelques situations où il semble également possible d’obtenir une information totalement inconnue de n’importe qui d’autre.
Voyance
Dans la longue série des tests de Duke University consistant à deviner des cartes, la plupart des sujets essayaient de deviner la carte regardée par une autre personne ; il s’agissait là d’authentiques tests de télépathie. Mais dans quelques-uns, les sujets visaient un but inconnu de tout le monde, tel que la succession des cartes dans un jeu brouillé. Quand ces tests donnèrent des résultats meilleurs que le hasard, Rhine fut contraint de reconnaître un nouveau phénomène : la voyance.
Un des sujets les plus exhaustivement testés dans l’histoire de la recherche parapsychologique est un jeune étudiant tchécoslovaque, Pavel Stepanek. il a obtenu des résultats phénoménaux dans tous les tests de cartes classiques, mais il a de plus introduit une variante de son cru qu’on connaît maintenant sous le nom d’ « effet de concentration ». Stepanek réussit particulièrement bien avec certaines cartes préférées, qu’il se montre capable de trouver lorsqu’elles sont encloses dans des enveloppes et brouillées de telle sorte que l’expérimentateur lui-même ignore laquelle est laquelle. Au bout d’un moment, la concentration de Stepanek en vient à reconnaître aussi l’enveloppe, qui doit alors être placée dans une enveloppe nouvelle. Dans les plus récents tests de Stepanek, on lui présente une carte dans une enveloppe enfermée dans une couverture placée dans une autre jaquette ; il n’en continue pas moins à deviner juste.
Bien que la plupart de ces expériences de voyance fournissent des preuves qui n’apparaissent qu’à l’analyse statistique, deux médiums hollandais apportent des démonstrations beaucoup plus spectaculaires. En 1964, Gérard Croiset, d’Utrecht, fut consulté par la police dans l’affaire du meurtre de trois « civil rights workers [15] » au Mississippi et les rapports indiquent qu’il fut capable de donner des renseignements exacts et des descriptions correctes de l’endroit où les corps furent finalement retrouvés, et d’impliquer à bon droit certains policiers locaux dans les assassinats. En 1943, Peter Hurkos tomba d’une échelle, se fractura le crâne et s’aperçut qu’il avait perdu la faculté de concentration, mais avait gagné un nouveau pouvoir à la place. Récemment prié d’assister la police de La Haye, il n’eut qu’à tenir en main le veston d’un mort pour être en mesure de décrire le meurtrier de cet homme, lunettes, moustache et jambe de bois comprises. Quand les policiers révélèrent avoir déjà arrêté un homme répondant à cette description, Hurkos leur dit où trouver l’arme du crime.
À strictement parler, aucun de ces exemples ne saurait être retenu comme de la véritable voyance, puisqu’il y avait toujours quelqu’un quelque part qui connaissait l’information essentielle. Un phénomène de télépathie pouvait avoir eu lieu. Dans les cas des tests de cartes, il y a toujours un risque de vice dans l’organisation de l’expérience permettant à l’expérimentateur d’avoir un soupçon, fût-il inconscient, de l’endroit où se trouvait la carte cachée. La véritable voyance doit consister à découvrir un objet dont la localisation est inconnue de quiconque, mais dans ce cas, pourquoi ne pas nommer cela de la radiesthésie ? L’existence des facultés de voyance est si douteuse, si lointaine la possibilité que de tels talents présentent la moindre signification biologique, qu’il semble inutile de chercher davantage.
Sorcellerie
Un médecin tchécoslovaque exerçant maintenant aux États-Unis, Milan Ryzl, relate une série d’expériences télépathiques où l’émetteur essaya de transmettre des accès d’émotion. Quand l’émetteur se concentrait sur l’angoisse de la suffocation, évoquant d’affreuses crises d’asthme, le receveur, à plusieurs kilomètres, souffrait d’un intense accès d’étouffement. Quand l’émetteur se concentrait sur des émotions lugubres et prenait un sédatif, le receveur manifestait la réaction d’EEG appropriée et se mettait à ressentir de violents maux de tête ainsi qu’un état de nausée qui durait des heures. Voilà qui jette une lumière entièrement neuve sur la vieille notion de magie noire. Il ne fait aucun doute qu’une personne qui croit avoir été ensorcelée peut se rendre malade et même mourir par le pouvoir de sa pensée ; pourtant, ces nouveaux travaux donnent à croire qu’il n’est pas nécessaire d’avoir soi-même les pensées destructrices. Quelqu’un d’autre peut les imaginer et les diriger vers nous.
William Seabrook vécut des années parmi le peuple malinké de l’ancienne Afrique occidentale française et nous parle d’un chasseur belge qui maltraitait et tuait ses porteurs locaux jusqu’au jour où, se faisant eux-mêmes justice, ils lui firent jeter un sort par un sorcier. Dans une clairière de la jungle, les Noirs disposèrent un cadavre d’homme réquisitionné dans un village proche, lui passèrent une des chemises du Belge, mêlèrent à ses cheveux quelques cheveux de celui-ci, fixèrent à ses doigts des rognures d’ongles en provenant et rebaptisèrent le corps du nom du chasseur. Autour de cet objet d’envoûtement, ils psalmodièrent et jouèrent du tam-tam, concentrant leur haine malveillante sur l’homme blanc qui se trouvait à des kilomètres. Un certain nombre de ses employés, jouant l’amitié, eurent soin de mettre le Belge au courant de tous ces agissements et ce jusqu’à sa mort. Il ne tarda pas à tomber malade et mourut en effet, apparemment d’autosuggestion. Pour des phénomènes de cet ordre, l’explication admise est qu’une croyance inconsciente en les pouvoirs du sort, même s’il n’a pas été jeté en réalité, peut tuer. Mais la découverte de ce qui semble être une maladie transmise par télépathie donne à soupçonner que la cérémonie elle-même pourrait bien avoir de l’importance. La frénésie de haine autour du cadavre, dans la jungle, avait certainement eu un effet hypnotique sur les participants, ce qui produisait exactement les conditions que l’on sait aujourd’hui nécessaires à la création d’un état télépathique, la « poupée de cire », dans ce cas, ne servant peut-être que de point de rassemblement à des émotions qui exerçaient par elles-mêmes leur action nocive à distance.
On peut considérer dans cette optique, et par hypothèse, tous les accessoires de la magie comme des objets sur quoi, de même que sur l’autel à l’église, l’attention peut être concentrée et autour de quoi l’émotion peut être suscitée. Les sorts qui provoquent l’inhibition sexuelle, la possession, la paralysie et toutes formes de dépérissement reposent indubitablement pour une grande part sur la suggestion. Beaucoup fonctionnent parce que les sorciers croient posséder ces pouvoirs et parce que leurs victimes les croient capables de les utiliser ; cependant, la possibilité d’une action directe sur une personne ignorante ne saurait être négligée [16].
Il n’y a guère de doute que les procédés de magie rituelle de toute espèce peuvent provoquer des hallucinations. Richard Cavendish décrit le magicien en train de se préparer à l’action par « abstinence et manque de sommeil, ou par la boisson, les drogues et la sexualité. Il inhale des vapeurs capables d’affecter son cerveau et ses sens. Il exécute des rites mystérieux qui font appel aux niveaux les plus profonds, les plus affectifs et les plus irraisonnés de son esprit et il s’enivre davantage encore par le meurtre d’un animal, la blessure d’un être humain ou, dans certains cas, l’approche et l’accomplissement de l’orgasme ». Ce qui inclut à peu près toutes les émotions connues de l’homme. Guère étonnant qu’après tout cela lui et son entourage aient des visions et évoquent de terrifiants démons personnels.
Un complément fréquent à l’art du sorcier et du magicien, c’est un philtre apprêté avec soin en vue d’un effet particulier. Les sorciers étaient des empoisonneurs notoires – les noms bibliques aussi bien qu’italiens pour les désigner se réfèrent spécifiquement à ce talent –, et les poisons préparés se révélaient sans aucun doute efficaces, mais on admet en général que les rites complexes employés pour la réunion et le mélange des ingrédients ne constituaient que des embellissements superstitieux et inutiles. Cela pourrait bien être inexact. Il existe une tradition ancienne d’après quoi on peut préparer à partir du gui un remède contre le cancer, mais que son efficacité dépend entièrement du moment où la plante est cueillie. Un institut suisse de recherche sur le cancer en a récemment fait l’épreuve en effectuant soixante-dix mille expériences sur des parties de la plante cueillies à une heure d’intervalle, de jour et de nuit. On a mesuré le degré d’acidité, analysé les éléments constitutifs, essayé l’effet de toutes les préparations sur des souris blanches. On n’a pas encore découvert un traitement pour le cancer, mais ce que l’on a constaté, c’est que les propriétés de la plante étaient radicalement affectées non seulement par l’heure locale et les conditions météorologiques, mais par des facteurs extraterrestres comme la phase lunaire et la survenue d’une éclipse. Rien ne reste pareil d’un instant à l’autre. L’orientaliste De Lubicz a décrit une drogue qui opérait de façon presque miraculeuse si on la préparait conformément au rituel égyptien traditionnel, mais qui, préparée de n’importe quelle autre manière, était un poison. Le moment, l’endroit et la façon dont quelque chose est accompli importent en réalité beaucoup.
Il n’y a pas tant d’années que la médecine orthodoxe rejetait complètement les causes psychosomatiques. Les choses ont aujourd’hui changé ; cependant, j’ai l’impression que dans la nouveauté de notre enthousiasme pour les phénomènes psychosomatiques, nous risquons d’aller trop loin et de leur attribuer tout ce pour quoi nous ne pouvons découvrir une autre explication raisonnable. Notre avenir est dans l’esprit et dans la compréhension que nous en aurons ; néanmoins, les rituels et les cérémonies complexes qui autrefois entouraient les pratiques occultes associées aux pouvoirs de l’esprit pourraient nous surprendre et se révéler avoir des effets directs de leur cru.
Matière, esprit et magie sont tout un dans le cosmos.